Depuis décembre 2024, et plus encore au début de l’année 2025, des rumeurs circulent massivement sur les réseaux sociaux, affirmant que des bandits urbains, communément appelés Kuluna, arrêtés dans le cadre de l’opération « Ndobo » à Kinshasa, auraient été exécutés après avoir été condamnés à mort lors de procès en procédure de flagrance. Parmi ces rumeurs, une vidéo virale sur TikTok ayant suscité des millions d’interactions. Pourtant, malgré les condamnations à mort prononcées, aucune exécution n’a été effectuée depuis la levée officielle du moratoire sur la peine de mort en mars 2024.
Des cercueils blancs alignés les uns après les autres, avec des croix devant eux, dans une pièce. C’est ce que montre la vidéo en question. Postée par un internaute, Jackson Malengole, le 12 décembre 2024 sur TikTok, elle est accompagnée de cette légende : « les premiers lots de Kulunas viennent d’être exécutée en RDC. Votre point de vue sur cette loi ». À la date du 13 janvier 2025, la vidéo a accumulé plus de 10 millions de vues, plus de 267 000 mentions « J’aime », plus de 35 000 partages et plus de 27 000 commentaires.
Cependant, une recherche d’images inversées sur Google Images réalisée par Vunja Uongo, la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC, a permis d’établir que la vidéo originale date du 18 septembre 2023 et montre un enterrement collectif dans la province du Nord-Kivu. Selon Fidèle Kitsa, journaliste basé à Goma, la vidéo n’a aucun lien avec une exécution de Kulunas à Kinshasa : « Ces images ont été tournées au cimetière Makao, au nord de Goma, lors des funérailles d’adeptes de l’église Wazalendo tués en août 2023. J’étais présent ce jour-là. »
Cette version concorde avec un rapport d’Amnesty international publié le 11 décembre 2024 qui indique qu’au moins 56 membres du groupe politico-religieux dénommé Wazalendo ont été tués par l’armée congolaise (FARDC) le 30 août 2023 à Goma, lors de la répression brutale d’une manifestation. Par ailleurs, aucune recherche par mots-clés sur Google ne fournit d’informations fiables concernant une prétendue exécution de Kulunas dans la capitale congolaise.
« Ndobo », « Panthère noire », « Coup de poing »
Pour lutter contre le banditisme urbain à Kinshasa, le ministre de l’Intérieur Jacquemain Shabani a lancé l’opération « Ndobo » le 6 décembre 2024. Des opérations similaires ont été menées par le passé, notamment « Coup de poing » et « Panthère noire ». Des bandits, qu’ils soient membres de gangs ou agissant seuls, ainsi que des policiers et militaires accusés de semer la terreur, sont traqués, arrêtés et jugés en audience foraine.
Toutefois, bien que certains Kuluna soient condamnés à mort, aucune exécution n’a encore eu lieu. « Pour la RDC, après un procès, une personne [peut être, ndlr] déclarée coupable et [recevoir, ndlr] à l’occasion la peine de mort comme sanction. Elle peut aller en appel si elle juge cette condamnation injuste. Par exemple, si le procès n’a pas été équitable », explique Bernard Kantumba Ntite, président de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT RDC). Interjeter appel ou demander un réexamen de son procès est un « ce processus peut durer plusieurs années ».
Une exécution soumise à l’aval du président
« Lorsque vous lisez l’article 345 du code judiciaire militaire, c’est bien établi qu’il y a tout un processus avant de pouvoir exécuté la peine de mort. D’abord, la décision doit être définitive. Par définitive, il faut entendre que le délai de cassation est suspensif de l’exécution. C’est seulement à l’épuisement de cela qu’on exécute la peine de mort, a précisé Constant Mutamba, ministre congolais de la Justice, lors d’un briefing tenu à Kinshasa le 6 janvier. Encore que le législateur dit que le ministère public qui est appelé à exécuter la peine de mort doit adresser une requête de grâce présidentielle. Au bout de compte, c’est le magistrat suprême qui vous dit : ‘’Moi, je refuse ’’ ou ‘’ Moi, j’accepte la peine de mort ’’. C’est ce que disent nos lois. »
Si le président de la République donne son accord, le condamné est informé de la date et de la méthode de son exécution, reçoit la visite de ses proches ou avocats, le lieu de sa mise à mort est préparé et un rapport détaillé est établi par les autorités présentes.
Sous le régime du Maréchal Mobutu, les exécutions étaient publiques, souvent dans les stades, à des fins pédagogiques. La dernière exécution officielle en RDC remonte à 2003, lorsque 15 personnes accusées d’« atteinte à la sûreté de l’État » ont été mises à mort. Depuis, un moratoire tacite était en place jusqu’à sa levée officielle en mars 2024 par l’ancienne ministre de la Justice, Rose Mutombo. Selon le gouvernement, cette mesure vise à lutter contre la recrudescence du banditisme urbain et à sanctionner les cas de trahison au sein des forces armées.
Les dangers des fausses rumeurs
La vidéo virale affirmant l’exécution des Kuluna à Kinshasa illustre les dangers de la désinformation. Les rumeurs sans fondement factuel alimentent des tensions sociales et politiques, et créent un climat de peur.
Il est donc essentiel de consulter des sources fiables et vérifiées, telles que les médias professionnels ou les comptes officiels du ministère de la Justice sur les réseaux sociaux, pour s’informer de manière rigoureuse et éviter de propager de fausses informations.
La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain. Un décryptage réalisé par Vunja Uongo, l’équipe de la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC.