Kinshasa : des ambassades et commerces attaqués par des manifestants en colère

D’une ville morte décrétée la veille avec la diffusion des tracts, Kinshasa s’est rapidement transformé, le 28 janvier, en théâtre des violentes manifestations contre la crise sécuritaire dans l’Est du pays, attribuée au Rwanda, au cours desquelles ambassades et établissements privés ont été pris pour cible.

Après la diffusion de tracts sur les réseaux sociaux appelant à une journée ville morte la veille, Kinshasa s’est timidement réveillée jeudi 28 janvier. La circulation et les activités ont été fortement paralysées dans plusieurs quartiers. Mais ce calme apparent s’est rapidement transformé en manifestations sporadiques qui ont dégénéré. 

Un 28 janvier de triste mémoire, comme en 1993

De ville morte, la capitale de la République démocratique du Congo est passée à une marche de protestation contre « l’agression [du] pays par le Rwanda de Paul Kagame », l’accusant d’être le principal responsable de la crise sécuritaire dans l’Est de la RDC.

Des pneus brûlés, des voitures calcinées, des commerces vandalisés et pillés par des foules de manifestants en colère, le ciel bleu de Kinshasa s’est obscurci, à certains endroits, sous l’épaisse fumée des bâtiments en flammes. Ce sombre décor du 28 janvier rappelle étrangement celui de la même date, il y a exactement 32 ans. En effet, le 28 janvier 1993 marquait le début des pillages à Kinshasa, qui se sont ensuite étendus à d’autres grandes villes du pays. Cet épisode reste l’un des plus marquants du chaos économique et social ayant précédé la chute du régime du Maréchal Joseph Mobutu Sese Seko.

Des ambassades prises pour cible

Sur l’avenue Colonel-Mondjiba, dans la commune de Ngaliema, des manifestants ont saccagé et incendié une partie de la clôture de l’ambassade de France, sans toutefois y pénétrer. « Depuis 30 ans, le Rwanda s’attaque à notre pays pour piller nos minerais avec la complicité des Occidentaux. Nos frères meurent dans l’Est, et la France ainsi que d’autres pays occidentaux restent silencieux. Aujourd’hui, nous mettons fin à tout cela », s’est indigné un jeune homme, brandissant une barre de fer. Il a ajouté : « Nous sommes fatigués de voir nos frères et sœurs tomber à cause du Rwanda »

Non loin de là, des manifestants ont saccagé et pillé un magasin de la ligne des supermarchés S&K. Des images montrant certains pilleurs sortant en vitesse, les bras chargés de produits divers, ont largement circulé dans les réseaux sociaux. Le café français Eric Kayser, abrité dans l’immeuble Arjaan Kin Plaza sur l’avenue Coteaux dans la commune de Ngaliema, a, lui aussi, été vandalisé.

Sur l’avenue Libération (ex-24 novembre), dans la commune de Gombe, la barrière de sécurité du Centre européen des visas (C.E.V), anciennement Maison Schengen, a été forcée tandis que d’autres manifestants y ont accédé en escaladant la clôture. Sur des images devenues virales sur les réseaux, on voit des gens y sortir avec des machines sur la tête.

À quelques kilomètres de là, l’hôtel Castello, situé sur l’avenue Monseigneur Shaumba (anciennement Prince de Liège), a été attaqué par plusieurs dizaines de personnes regroupées devant le bâtiment. Cet immeuble est l’un des biens appartenant à Corneille Naanga, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), qui a fondé la coalition politico-militaire Alliance Fleuve Congo en décembre 2023 et s’est allié au Mouvement du 23 mars (M23). Jugé et condamné par contumace, plusieurs de ses biens, dont cet immeuble, ont été saisis par la justice et mis en vente.

Le boulevard du 30 juin, principalement artère de la ville, n’a pas été épargné : l’immeuble abritant les ambassades de Belgique et des Pays-Bas a été attaqué. Les manifestants ont incendié l’une des portes, mais n’ont pas pu pénétrer les locaux. Une foule s’est également massée devant le Centre culturel américain situé sur l’avenue Colonel Lukusa, en pleine commune de Gombe, centre des affaires de Kinshasa.

Sur la même avenue, le bâtiment ayant abrité l’ambassade du Rwanda avant sa fermeture en 2024 a été incendié et pillé. Les ambassades de l’Ouganda et du Kenya ont également subi d’importants dégâts.

Réactions diplomatiques et inquiétudes sécuritaires

Face à tous ces dégâts, les représentants des ambassades attaquées n’ont pas tardé à réagir. « La France condamne avec la plus grande fermeté l’attaque de son ambassade, ainsi que celles d’autres représentations diplomatiques, ce jour, à Kinshasa, par des manifestants. Elle appelle instamment les autorités congolaises à garantir l’intégrité et la sécurité de toutes les emprises diplomatiques présentes sur leur territoire, comme l’exige leur responsabilité conformément à leurs obligations en droit international », a déclaré le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères dans un communiqué publié sur le site www.diplomatie.gouv.fr.

Musalia W. Mudavadi, secrétaire du Cabinet pour les Affaires étrangères et la Diaspora de la République du Kenya, a également condamné fermement « les attaques contre l’ambassade et le personnel du Kenya à Kinshasa par des émeutiers protestant contre le conflit dans l’Est de la RDC ». Il a ajouté que « la violence, le pillage et la destruction ont également ciblé l’ambassade de l’Ouganda, et des attaques ont été planifiées contre les ambassades d’Afrique du Sud, des États-Unis et de Belgique ». Il a déploré que « ces attaques se soient déroulées en présence des forces de sécurité, sans qu’aucune intervention ne soit faite ».

De son côté, Vincent Karega, dernier ambassadeur du Rwanda en RDC, a dénoncé « une folie sans nom et un processus d’autodestruction de la RDC ». Il a noté « la destruction, à Kinshasa, d’un investissement congolais où, jusqu’à sa fermeture, l’ambassade du Rwanda louait quelques mètres carrés de bureaux ». Il a conclu son message en pointant une « absence notoire de l’Etat ».

Dans la soirée, l’ambassade des États-Unis a conseillé aux citoyens américains de « s’abriter sur place », tout en les encourageant « à quitter le pays par des vols commerciaux dès qu’ils estiment pouvoir rejoindre l’aéroport en toute sécurité ». Cette mesure a été prise pour assurer leur protection « en raison d’une recrudescence de la violence dans toute la ville de Kinshasa ». Le communiqué, publié sur X, indique également que « l’ambassade des États-Unis à Kinshasa est fermée au public jusqu’à nouvel ordre ».

Le sénateur américain Jim Risch, président de la commission des relations étrangères du Sénat, a, pour sa part, qualifié les attaques violentes contre l’ambassade des États-Unis et d’autres missions diplomatiques d’« inacceptables ». Il a averti que « les atteintes continues aux Américains et à leurs biens auront de graves conséquences ».

Dans une vidéo publiée sur X, Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et des Médias et porte-parole du gouvernement, a déclaré : « Nous avons le droit de manifester notre colère, mais faisons-le pacifiquement ».

La vice-ministre de l’Intérieur, Eugénie Tshiela Kamba, a qualifié les attaques contre les ambassades de « cas isolés ». Selon elle, ces incidents ont été orchestrés par « les infiltrés rwandais qui ont profité de la foule et du mouvement spontané des Congolais et Congolaises soutenant l’armée et les Wazalendo ».

La rue comme alternative face à l’« inaction » de la Communauté internationale

Depuis New York, où elle a participé à une réunion spéciale du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation sécuritaire en RDC, Thérèse Kayikwamba Wagner a déclaré : « Si ce Conseil échoue, la rue prendra le relais. Et comme vous le savez, la rue n’a ni ordre ni tempérament », critiquant « l’inaction collective » de la communauté internationale.

Dans la soirée, le gouverneur de la ville de Kinshasa, Daniel Bumba Lubaki, est apparu sur la télévision nationale pour annoncer l’interdiction de toute manifestation dans sa juridiction. « Que chacun retourne à ses occupations afin de soutenir notre économie et de garantir les ressources nécessaires aux combats dans lesquels nous sommes engagés », a-t-il déclaré sur la télévision nationale. Cette décision sonne comme un couperet pour le parti présidentiel Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), les mouvements citoyens et les confessions religieuses qui avaient prévu d’autres marches dans la ville le mercredi 29 janvier.