Les combats entre les Forces armées de la République démocratique du Congo (RDC), soutenues par les Wazalendo, et les rebelles de l’AFC/M23, appuyés par le Rwanda, pour la prise de Goma ont enfoncé la ville dans une crise humanitaire déjà grave. Les tirs d’obus et les balles perdues notamment ont causé des milliers de morts. Des corps sans vie ont été ramassés dans les rues et au large du lac Kivu.
« Mon collègue le ministre de la Santé avec qui nous étions samedi soir ici pour vous faire le premier bilan du massacre et du carnage qui a été commis à Goma, ce matin ses services lui ont renseigné qu’il y a plus de 2 000 corps à enterrer », a déclaré Patrick Muyaya, ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement, au cours d’un briefing le 3 février à Kinshasa.
Les chiffres provisoires font état de près de 3 000 morts et d’environ 2 880 blessés pris en charge dans des infrastructures médicales débordées. Au micro du média français RFI, Bounena Sidi Mohamed, chef de bureau adjoint du Bureau régional de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) en Afrique centrale et de l’Ouest, basé en RDC, a expliqué qu’« au moins 2 000 corps ont déjà été enterrés par les communautés et t selon les chiffres de l’OMS qui vient de sortir aujourd’hui, il y a 900 corps qui sont toujours dans les morgues des hôpitaux de Goma ».
Des enterrements en urgence pour éviter une crise sanitaire

Outre les ruptures de stock des sacs mortuaires, trouver un terrain pour l’inhumation des victimes est un véritable défi. « Les terrains, à Goma, où on peut enterrer des corps sont extrêmement limités. Donc, ça a été une course contre la montre de trouver des terrains. C’est urgentissime d’enterrer des corps puisque la plupart de morgues sont situées au niveau des hôpitaux. Donc, ça représente un risque épidémiologique énormissime surtout pour le personnel de santé et les patients », a expliqué Miriam Favier, cheffe de la sous-délégation du CICR au Nord-Kivu, à l’Agence France Presse.
« Au vu des risques de choléra que nous avions ici dans la crise humanitaire, et aussi les pluies diluviennes qui sont en train de se placer, il est très important que nous puissions nous rassurer que tous les corps qui demeurent au sein de la communauté soient enterrés », insiste Alain Bangolopa, chef de la gestion de la crise humanitaire au Nord-Kivu.
De nombreux autres cadavres se décomposent à l’aéroport de Goma, qui est toujours fermé, et à la prison centrale de Munzenze, où « quelques centaines de prisonnières ont toutes été violées » lors d’« une évasion majeure de 4 000 prisonniers », selon Vivian van de Perre, cheffe adjointe de la mission de la Monusco, dans une interview accordée au média britannique The Guardian. Elle a expliqué que le feu a été mis à l’aile des femmes et que ces dernières sont toutes mortes. Cependant, les images de ces violences sont rares en raison notamment des restrictions imposées par les rebelles de l’AFC/M23.
« Chaque heure perdue met davantage de vies en péril »

Dans un communiqué publié le 4 février, Bruno Lemarquis, coordonnateur humanitaire d’OCHA en RDC, a appelé à la « mobilisation de toutes les parties pour la réouverture urgente de l’aéroport de Goma », afin de permettre « l’évacuation des blessés graves, l’acheminement des fournitures médicales et la réception des renforts humanitaires ». Il a souligné que « chaque heure perdue met davantage de vies en péril ».
De son côté, Bertrand Bisimwa, l’un des leaders de l’AFC/M23, a écrit, le 5 février, sur son compte X que « les corps qui jonchaient les rues de Goma, ramassés par les services sanitaires et conservés à la morgue de l’hôpital de Goma avant leur inhumation, sont bel et bien ceux des soldats FARDC et de leurs alliés (Wazalendo, FDLR, FDNB, mercenaires) tombés sur le champ de bataille », ajoutant qu’« aucune famille de Goma ne porte le deuil de ces morts ». Pourtant, RFI affirme dans un de ses articles publié le 4 février : « Selon nos informations, 70% des blessés pris en charge par le CICR sont des civils, 77% blessés par arme à feu, 22% par explosion des armes lourdes ».
Le 3 février, les rebelles ont décrété unilatéralement un cessez-le-feu « en raison de la crise humanitaire provoquée par le régime de Kinshasa », censé entrer en vigueur le 4 février. « Nous n’avons aucune intention de prendre le contrôle de Bukavu ou d’autres localités », avaient-ils déclaré dans un communiqué diffusé notamment sur X. Mais le 5 février à l’aube, les combattants du groupe armé et les soldats rwandais qui les soutiennent ont lancé d’intenses combats contre les forces armées congolaises dans la province voisine du Sud-Kivu.

« Nous voyons beaucoup de déclarations, mais nous ne voyons pas d’actions »
Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre congolaise des Affaires étrangères
Selon des sources sécuritaires et humanitaires, ils se sont rapidement emparés de la cité minière de Nyabibwe, à environ 100 km de Bukavu et 70 km de l’aéroport provincial. « C’est bien la preuve que le cessez-le-feu unilatéral décrété était, comme d’habitude, un leurre », a réagi auprès de l’AFP Patrick Muyaya. En plus de trois ans de conflit, une demi-douzaine de cessez-le-feu et trêves ont été conclus, mais jamais respectés. Des affrontements avaient déjà eu lieu la semaine précédente dans le Sud-Kivu, mais une accalmie s’était installée ces derniers jours. Selon des sources locales et militaires, ce répit a permis aux deux camps de se renforcer en troupes et en matériel.
Des sources diplomatiques affirment que la progression des rebelles et des troupes rwandaises pourrait affaiblir le gouvernement du président congolais Félix Tshisekedi, au pouvoir depuis 2019 et réélu pour un deuxième mandat en décembre 2023. Toutefois, Kinshasa continue de mener des actions sur le front diplomatique. Il a notamment exhorté la communauté internationale à sanctionner Kigali. « Nous voyons beaucoup de déclarations, mais nous ne voyons pas d’actions », a déploré le 5 janvier la ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, à l’issue d’une rencontre à Bruxelles avec son homologue belge Maxime Prévot.
Félix Tshisekedi et Paul Kagame doivent participer, samedi, à Dar es Salaam, à un sommet extraordinaire conjoint de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
Studio Hirondelle RDC, avec AFP