🎧 FAUX Les États-Unis n’ont pas annoncé la trêve humanitaire pour soutenir le M23, le Rwanda n’est pas en marche pour une attaque de Goma aux côtés des rebelles

Les États-Unis ont annoncé le 4 juillet dernier une trêve humanitaire de deux semaines dans l’est de la République Démocratique du Congo, effective du 5 au 19 juillet 2024. De nombreuses rumeurs circulent au sein des communautés locales sur le terrain, mais aussi sur les réseaux sociaux au sujet de cette trêve. Or, beaucoup de ces rumeurs mêlent des informations probables à des propos trompeurs ou infondés, et des photographies détournées. Dans ce décryptage, la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC trie le vrai du faux, dans un climat incertain et parfois confus qui favorise malheureusement la propagation des fausses informations.  

La trêve humanitaire annoncée par les États-Unis engage les Forces armées de la RDC d’un côté et les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda de l’autre, à poser les armes, et vise à faciliter la distribution de l’aide humanitaire et le retour volontaire des personnes déplacées vers les régions affectées par les conflits. Une correspondante du Studio Hirondelle RDC dans la zone de Masisi l’a confirmé : dans les communautés locales, certains pensent que les Etats-Unis ont annoncé la trêve parce qu’ils sont impliqués activement dans la guerre, ou qu’ils cherchent à aider le M23 en leur donnant du temps pour se recharger en armes. D’autres rumeurs indiquent que des camions plein de soldats rwandais traverseraient la frontière depuis quelques jours, en période de trêve, pour venir rejoindre les troupes du M23 en vue d’une éventuelle attaque de la ville de Goma. 

Capture d’écran de la déclaration d’Adrienne Watson sur la trêve humanitaire dans l’est de la RDC

Non, les États-Unis n’ont pas annoncé la trêve humanitaire pour aider le M23

Commençons par cette rumeur sur l’implication des Etats-Unis dans cette trêve et dans le conflit. C’est une déclaration de la Maison Blanche (lien archivé ici), et plus précisément de sa porte-parole Adrienne Watson, datant du 4 juillet, qui confirme le rôle des Etats-Unis dans la négociation de la trêve et son suivi. “Cette trêve s’appuie sur les mesures de confiance obtenues lors du voyage en RDC et au Rwanda en novembre 2023, de la directrice du renseignement national américain Avril Haines, et sur ses engagements ultérieurs avec les présidents Félix Tshisekedi de la RDC et Paul Kagame du Rwanda.” 

Les Etats-Unis ont donc facilité les discussions entre les deux parties pour cette trêve. Ils étaient d’ailleurs aussi instigateurs de la précédente trêve de décembre dernier, qui fut malheureusement de courte durée. 

Il s’agit donc d’un acte de médiation qui ne doit pas être perçu comme une preuve que les Etats-Unis jouent un rôle dans le conflit lui-même, à la faveur des rebelles du M23 ou d’autres groupes armés, comme le sous-entendent les rumeurs.

Dans de nombreux conflits à travers le monde, des Etats étrangers jouent le rôle de facilitateurs dans des discussions et des accords de cessez le feux, ou de trêve, comme ici en RDC, mais cet acte de médiation n’est pas une preuve de prise de partie pour le camps des rebelles du M23 ou tout autre acteur de ces affrontements d’ailleurs. 

Les rumeurs selon lesquelles les Etats Unis ont annoncé cette trêve spécifiquement pour permettre au M23 de se recharger, sont donc infondées. La trêve est là pour permettre un accès aux humanitaire et aux civils. Il est par contre monnaie courante que lors d’une trêve humanitaire, les deux camps s’organisent pour “l’après trêve, que ce soit en essayant de négocier des accords de paix, ou tout simplement reposer les troupes, et se recharger en vue des possibles affrontements futurs. 

Un Partenariat Privilégié pour la Paix, la Prospérité et la Préservation de l’Environnement co-signé par la RDC et les États-Unis

Nous avons contacté l’ambassade américaine à Kinshasa, qui a refusé de commenter directement ces rumeurs. Mais si l’on regarde les documents officiels et l’historique des échanges entre les Etats Unis et la RDC, on voit que les Etats-Unis se sont toujours positionnés comme alliés de choix du gouvernement congolais, plutôt en soutien au FARDC, contre tous les groupes rebelles armés, et contre le soutien du M23 par le Rwanda. 

La RDC et les Etats-Unis ont co-signé le Partenariat Privilégié pour la Paix, la Prospérité et la Préservation de l’Environnement (lien archivé), un accord en faveur du renforcement de la démocratie, la promotion des droits humains, et la promotion de la paix dans l’est de la RDC. Dans un document stratégique du Département d’État américain (lien archivé), datant du 13 avril 2022, il est rappelé que :

Les États-Unis ont saisi l’opportunité de devenir le partenaire de choix de la République démocratique du Congo et ont établi en avril 2019 le Partenariat privilégié entre les États-Unis et la RDC pour la Paix et la Prospérité, auquel les deux pays ont ajouté la Préservation de l’Environnement en février 2021.

De plus, il faut savoir qu’en 2023, les États-Unis ont alloué un budget de plus de 560 millions de dollars en aide humanitaire à la RDC, soit plus de 1600 milliards de francs congolais  (Source : 2023 Human Rights Report Appendix D FY 2023 FA Actuals, lien archivé).

Par souci de comparaison, l’aide humanitaire des Etats-Unis pour l’Ouganda était de 538 millions de dollars en 2023, et de 150 millions de dollars pour le Rwanda.

Nous pouvons donc dire que la position officielle des Etats-Unis dans ce conflit, au-delà de leur rôle de facilitateur de la trêve humanitaire, serait plutôt en soutien envers le gouvernement congolais pour le renforcement de la démocratie en RDC, et non pas en faveur du M23 comme l’insinuent les rumeurs.

Capture d’écran du tweet datant du 9 juillet prétendant montrer des soldats rwandais et ougandais se dirigeant à Kibumba

Non, cette photo ne montre pas des soldats rwandais ou Ougandais dans des camions traversant la frontière du Rwanda en soutien au M23/RDF début juillet 2024. Il s’agit en fait d’une photo prise en 2016 au Soudan du Sud. 

Notre équipe est tombée sur un tweet d’un certain Armando Noble (lien archivé), datant du 9 juillet 2024. On y voit une photo de trois camions remplis de soldats en tenues militaires, certains portant des bérets vert ou rouge, d’autres avec des casquettes militaires. Ils s’apprêtent à traverser un pont. 

Le média Jeune Afrique avait utilisé cette photo en juillet 2016 avec pour légende : ‘’L’entrée d’un convoi militaire ougandais en territoire sud-soudanais, le 14 juillet 2016. © Isaac Kasamani/AFP’’

Cette photo est accompagnée du texte : “#RDCongo : plusieurs sources confirment le renfort des soldats #Rwandais et #Uganda #UPDF en soutien aux #M23/RDF en direction de KIBUMBA en vue d’une éventuelle attaque de la ville de GOMA !” Les comptes de Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, et celui de la Présidence de la RDC sont également cités dans ce tweet.

Cette publication insinue que ce que l’on voit sur la photo sont des soldats rwandais et ougandais en train de traverser la frontière de la RDC en camion, pour renforcer les troupes du M23 et attaquer Goma. 

Mais une simple recherche inversée sur l’outil Google Lens, nous a permis de démontrer que cette photo ne montre pas des soldats rwandais ou ougandais, qu’elle n’a pas été prise en RDC, et encore moins cette année. Il s’agit en fait d’une photo d’évacuation de l’armée ougandaise prise par un photographe de l’AFP en 2016 au Soudan du Sud. Elle a d’ailleurs été détournée plusieurs fois ces dernières années, dans d’autres tentatives de désinformation, notamment par l’équipe d’AFP factuel.

Cette photo a donc été détournée pour nous faire croire qu’il s’agissait d’une preuve du renfort des troupes du M23 par le Rwanda et l’Ouganda.

Il y a beaucoup de témoignages sur le terrain qui affirment la circulation accrue de militaires à la frontière du Rwanda, information aussi relayée dans des groupes Whatsapp et sur les réseaux sociaux. Malheureusement, aucune source vérifiable ne nous permet de confirmer ces déclarations.

Un nouveau rapport du Conseil de Sécurité de l’ONU accuse le Rwanda et l’Ouganda de soutenir les M23

Le récent rapport du Conseil de Sécurité de l’ONU accuse le Rwanda et l’Ouganda de soutenir les M23

Un rapport de près de 300 pages rédigé par un groupe d’experts du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les conditions de sécurité et la situation humanitaire en RDC a fait beaucoup parlé de lui, notamment parce qu’il documente l’implication directe du Rwanda et de l’Ouganda au côté du M23, grâce à des photographies authentifiées, images de drones, enregistrements vidéo, témoignages et renseignements.

Selon une estimation prudente au moment de l’établissement de ce rapport en avril 2024 : “3 000 à 4 000 soldats de la RDF étaient déployés dans les territoires de Nyiragongo, de Rutshuru et de Masisi”. Ce rapport nous parle donc d’un soutien présumé du Rwanda et de l’Ouganda envers le M23 dans cette zone.  

Suite à la publication de ce document, le Rwanda et l’Ouganda ont tous deux démenti toute implication dans ce conflit.

Aucune source fiable ne prouve qu’une attaque de Goma est en préparation

Le camp de réfugiés de Kibumba étant à seulement 15 kilomètres au Nord de Goma, il pourrait être un point stratégique sur l’itinéraire du M23, mais cela n’est que spéculation. Aucune source fiable ne confirme que les armées rwandaises et ougandaises ont envoyé leur troupes en renfort du M23 ces derniers jours, et aucune prévision d’attaque de la ville de Goma n’a été mentionnée que ce soit par les différents groupes impliqués, leur porte parole, ni par aucune source sûre.  Cette publication mêle donc des informations probables à des propos infondés, dans le but de perturber et d’influencer notre perception du conflit en période de trêve.

En conclusion, les nombreux récits de violation de cette trêve de la part des deux parties, et de témoins sur le terrain, facilitent encore les campagnes de désinformation.

Il est important de garder à l’esprit que de telles accalmies sont souvent fragiles et peuvent être ignorées par les parties en conflit. C’est souvent dans des situations volatiles comme les conflits sécuritaires, que les fausses rumeurs circulent le plus. En période de crise, il est donc essentiel de toujours vérifier la fiabilité des sources avant de relayer des allégations lues sur les réseaux sociaux.