🎧 Sanctions de l’UE contre le Rwanda : entre rĂ©alitĂ© et dĂ©sinformation

À la suite de la réunion du Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) du 24 février, des rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux affirmant que l’UE avait imposé des sanctions drastiques au Rwanda. En réalité, seules trois mesures ont été annoncées. Décryptage des décisions prises et des fausses informations relayées.

Parmi les rumeurs qui ont circulé en ligne après la réunion du Conseil des Affaires étrangères de l’UE du 24 février à Bruxelles figure celle relayée par plusieurs internautes sur Facebook et qui a affirmé que « L’Union européenne vient de sanctionner le Rwanda et annule tous les accords conclus avec Kigali ». Une autre, publiée sur le même réseau social, a avancé : « l’Union européenne met fin à la coopération militaire avec le Rwanda, l’armée rwandaise est considérée comme un groupe terroriste. Fin de la Coopération sur les minerais stratégiques. Paul Kagame est sommé de retirer ses terroristes RDF du territoire congolais sans délai, une évaluation quotidienne se fera pour évaluer la situation et renforcer d’autres sanctions contre l’Etat terroriste du Rwanda.

C’est une réelle victoire pour la République démocratique du Congo obtenue grâce aux efforts diplomatiques du président Félix Antoine Tshisekedi et la ministre Thérèse Kayikwamba Wagner ». Cette publication a été partagée 50 fois et a généré plus de 100 mentions « J’aime » et près de 40 commentaires. 

Les mesures que l’UE a réellement prises

Pourtant, au sortir de cette réunion, Kaja Kallas, haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, avait annoncé uniquement trois mesures prises contre Kigali : la suspension des consultations sur les questions de défense avec le Rwanda, une décision politique d’appliquer des sanctions en fonction de la situation sur le terrain et une réexamination du protocole d’accord avec le Rwanda concernant les matières premières critiques.

Nicolás Berlanga-Martinez, ambassadeur de la Délégation de l’UE en République Démocratique du Congo.

« Ce sont les trois seules mesures que le Conseil des ministres de l’Union européenne a prises lundi dernier. Les restes sont des rumeurs qui ne sont pas basées sur la réalité », a déclaré Nicolas Berlanga Martinez, ambassadeur de la Délégation de l’UE en République démocratique du Congo, contacté via la messagerie Whatsapp. Le diplomate a précisé que « l’Union européenne n’a pas une coopération militaire avec le Rwanda. L’union avait un dialogue avec le Rwanda sur la sécurité et la défense et ce dialogue a été suspendu ».

En effet, en tant qu’institution, l’UE ne conclut pas directement des accords de coopérations militaires bilatéraux en son nom avec des pays. Mais les 27 Etats qui la composent le font souvent. Les consultations militaires qui ont été suspendues concernaient principalement l’assistance militaire et sécuritaire que l’UE apportait au Rwanda. Elles  visaient à renforcer la coopération en matière de défense entre les deux parties, pouvant inclure des échanges d’informations, des formations et des discussions stratégiques sur la sécurité régionale. Dans ces consultations, il était également question de la participation du Rwanda à des missions de maintien de la paix de l’Union européenne, notamment au Mozambique. Dans ce cadre, une enveloppe européenne de 20 millions d’euros est allouée chaque année aux Forces de défense rwandaise. En outre, ces consultations permettaient des échanges sur les stratégies de lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière.

La suspension de cette collaboration constitue une pression diplomatique pour inciter le Rwanda à retirer ses troupes des zones qu’elles occupent dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Toutefois, en aucun moment, l’armée rwandaise n’a été qualifiée de « groupe terroriste » par l’Union européenne.

La suspension de cette collaboration constitue une pression diplomatique pour inciter le Rwanda à retirer ses troupes des zones qu’elles occupent dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Toutefois, en aucun moment, l’armée rwandaise n’a été qualifiée de « groupe terroriste » par l’Union européenne.

Concernant les minerais stratégiques, il ne s’agit pas de la « fin de la coopération », mais plutôt d’une réexamination du protocole d’accord signé le 19 février 2024 entre l’UE et le Rwanda. Cette coopération était voulue « étroite » par les deux parties. Dans un dans un communiqué publié sur le site de la Commission européenne, Thierry Breton, commissaire au marché intérieur de l’UE, avait déclaré que « le Rwanda est un important fournisseur de tantale, d’étain, de tungstène, d’or et de niobium, et il dispose de réserves de lithium et de terre rares », soulignant que « par ce partenariat mutuellement bénéfique, nous voulons mettre en place une chaîne de valeur résiliente et durable pour les matières premières, couvrant l’extraction, le raffinage, la transformation, le recyclage et le remplacement. La transparence, la traçabilité et les investissements sont au cœur du partenariat UE-Rwanda dans le domaine des matières premières critiques ».  

De son côté, Vincent Biruta, alors ministre rwandais des affaires étrangères, avait affirmé que la signature de cette coopération soulignait la volonté du Rwanda de tirer pleinement parti des possibilités qu’offre son  secteur minier, tout en contribuant à la fourniture des minerais critiques nécessaires à la transition vers une économie mondiale plus verte et plus durable. « Cet accord garantit en outre la qualité et la traçabilité de nos matières premières, et réaffirme que le Rwanda est un partenaire fiable dans les échanges internationaux ».

Les sanctions de l’UE : un outil de pression diplomatique

Pour  promouvoir la paix, la démocratie, le respect de l’État de droit, des droits de l’homme et du droit international, l’UE peut imposer des mesures restrictives ou des sanctions contre des États. Sur le site de la protection Protection civile et opérations d’aide humanitaire européennes, ces sanctions sont ciblées et visent les responsables des politiques ou des actions que l’UE souhaite influencer, tout en réduisant autant que possible les conséquences imprévues. 

Il peut s’agir des embargos sur les armes, des interdictions de voyager, le gel des avoirs et d’autres mesures économiques telles que des restrictions sur les importations et les exportations. Elles sont un outil de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne par lequel elle peut intervenir si nécessaire pour prévenir un conflit ou répondre à des crises.

En général, les sanctions de l’Union européenne envers les Etats sont adoptées à l’unanimité par le Conseil de l’UE dans le cadre de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC). Concernant le Rwanda, il ne s’agit pas encore de ce type de sanctions.

Des initiatives unilatérales de certains Etats européens

Par ailleurs, certains Etats membres de l’UE ont des mesures individuelles contre Kigali. Fin janvier, l’Allemagne, à travers un porte-parole du ministère fédéral de la Coopération économique et du développement, a annoncé, dans un communiqué l’annulation des « consultations gouvernementales avec le Rwanda prévues pour la mi-février », ajoutant que « dans l’escalade actuelle dans l’est du Congo, on ne peut plus continuer comme avant. Le Rwanda et le M23 doivent mettre fin à l’escalade et se retirer. Le BMZ coordonne actuellement d’autres mesures avec d’autres donateurs ».

Le Luxembourg, pour sa part, s’est engagé auprès de ses partenaires « pour une approche graduelle, pragmatique et réversible, qui garde la porte ouverte à un dialogue afin de pouvoir répondre aux évolutions sur le terrain, sans nuire à ceux qui ont le plus besoin » de son aide. Par conséquent, ses projets de collaboration avec le Rwanda vont continuer à être mis en œuvre au niveau technique, au bénéfice des populations vulnérables dans les domaines tels que l’éducation, la formation professionnelle, l’emploi ou la résilience climatique. 

Il est essentiel de ne pas se fier aveuglément aux informations circulant sur les réseaux sociaux. Pour une compréhension juste des faits, il est toujours préférable de consulter des sources fiables, telles que les documents officiels, les déclarations des autorités et les médias indépendants.

La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain. Un décryptage réalisé par Vunja Uongo, l’équipe de la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC.