Le chef de l’Etat Félix Tshisekedi et Augustin Kabuya, secrétaire général du parti présidentiel UDPS, ont récemment tenu des propos controversés sur la Constitution du pays, affirmant qu’elle aurait été rédigée à l’étranger par des étrangers et qu’elle autoriserait la cession des territoires, notamment au Rwanda. Une analyse rigoureuse menée par Vunja Uongo, l’équipe de vérification du Studio Hirondelle RDC, révèle que ces déclarations sont infondées et ne reposent sur aucun fondement légal.
La controverse autour de la révision de la Constitution de la République démocratique du Congo (RDC) a été relancée après le meeting du président Félix Tshisekedi à Kisangani, dans la province de Tshopo, le 23 octobre 2024. Lors de cet événement, retransmis en direct sur chaîne YouTube de la télévision nationale et suivi par plus de 100 000 spectateurs, outre les relais, le chef de l’État a exprimé son souhait de doter le pays d’une nouvelle Constitution, affirmant que l’actuelle avait été rédigée par des étrangers à l’étranger.
Lors d’une sortie publique à Kinshasa le 12 novembre, Augustin Kabuya, le secrétaire général du parti présidentiel Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), a renforcé la polémique en déclarant que l’actuelle loi fondamentale du pays obligeait la RDC à céder des territoires au Rwanda. « Cette Constitution stipule que pour sauvegarder l’unité africaine, il nous faut céder certains espaces au Rwanda (…). Cette Constitution s’appelle malédiction », a-t-il affirmé, en référence à l’article 217, qui dispose que « la République démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine ».
Des allégations sans fondement factuel ou légal
Ces affirmations, largement relayées sur les réseaux sociaux, ne reposent pourtant sur aucun fondement factuel ou légal. Contacté Vunja Uongo, l’équipe de vérification du Studio Hirondelle RDC, Bob Kabamba, professeur de Science politique à l’Université de Liège en Belgique et co-rédacteur de la Constitution du 18 février 2006, a démenti ces propos. « Ce n’est pas possible que l’Etat congolais ou le chef de l’Etat puisse octroyer une partie du territoire congolais à un autre pays Etat. Cette Constitution ne le permet pas et [l’article, ndlr] 217, d’ailleurs, ne dit pas ça », explique-t-il.
Joint au téléphone par le Studio Hirondelle RDC, Bob Kabamba, Le professeur Kabamba a expliqué que cet article, souvent mal interprété, s’inscrit dans une vision panafricaniste qui permet à l’État congolais de conclure des accords internationaux, mais n’autorise en aucun cas la cession d’une partie de son territoire. « Il s’agit, en fait, des traités qui ont été signés par la RDC au niveau continental, mais aussi au niveau des organisations sous-régionales, par exemple la SADC, la CEAC ou l’EAC, argumente-t-il. C’est une disposition qui concerne tous les pays africains pour qu’à un moment donné si on veut que l’Union africain puisse exister, que tous les pays du continent puissent parler d’une seule voix, cette disposition-là ouvre la voix. La RDC peut dire : ‘‘ Oui, je peux céder une partie de mes compétences à l’Union africaine pour qu’elle puisse l’exercer ’’. » L’enseignant a également rappelé que le principe d’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, consacré par l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine, renforce cette interdiction.
Les articles 63 et 165 de la Constitution congolaise s’opposent clairement à l’idée de la cession d’une partie du pays. Le premier affirme, dans son premier alinéa : « Tout Congolais a le droit et le devoir sacré de défendre le pays et son intégrité territoriale face à une menace ou à une agression extérieure ». Le second, quant à lui, érige en « haute trahison » toute démarche du chef de l’Etat de procéder à la cession d’une partie du territoire national.
Un principe ancien et partagé en Afrique
Par ailleurs, l’idée d’un abandon partiel de souveraineté au profit de l’unité africaine n’est pas nouvelle. Elle figure dans différentes Constitutions du pays depuis 1967. Par exemple, la Constitution du Zaïre stipulait déjà en son article 69 : « En vue de promouvoir l’unité africaine, la République peut conclure des traités et accords d’association comprenant abandon partiel de sa souveraineté ».
De plus, la République démocratique du Congo n’est pas le seul pays à intégrer une telle disposition. Des pays comme le Niger (article 172), le Mali (article 117), la République centrafricaine (article 140), la Guinée (article 151), le Sénégal (article 96) ou encore le Burkina Faso (article 146) évoquent ce principe leurs lois fondamentales afin de promouvoir l’unité africaine. L’article 278 de la Constitution du Burundi et 221 de celle du Congo Brazza reprennent également cette disposition en d’autres mots.
L’idée d’un abandon partiel ou total de souveraineté a été évoquée dès 1963 par Milton Obote, ancien Premier ministre et président de l’Ouganda, lors du Sommet des États africains indépendants, ancêtre de l’Organisation de l’Unité africaine. « Je suis d’avis que, même si l’on peut se sentir parfaitement maître chez soi, le temps est venu, et même presque depuis longtemps, pour les États africains indépendants de renoncer à une partie de leur souveraineté en faveur d’un pouvoir législatif et exécutif central africain doté de pouvoirs spécifiques sur les sujets où un contrôle et une action divisés seraient indésirables », avait-il déclaré dans son discours devant ses pairs.
L’actuelle constitution de la RDC a été écrite à Kisangani
Concernant les circonstances de la rédaction de la Constitution, le professeur Kabamba a clarifié que le texte avait été élaboré à Kisangani, dans l’actuelle province de Tshopo, lors d’une retraite organisée sur la base aérienne de Simisini, puis peaufiné à Kinshasa avant d’être soumis au peuple pour la validation via un référendum. Cette initiative, menée par la Commission constitutionnelle du Sénat de transition, a impliqué sept experts congolais, dont Bob Kabamba lui-même, Evariste Boshab, Jean-Louis Esambo et quatre autres. Ces travaux ont également bénéficié de l’expertise externe ponctuelle du professeur sénégalais El Hadj Mbodj. « Le seul étranger impliqué dans cette rédaction était sénégalais », a souligné le professeur Auguste Mampuya, également co-rédacteur de la Constitution.
Par ailleurs, une vidéo devenue virale montre un militant de l’UDPS affirmant que l’article 51 de la Constitution favoriserait le groupe armé M23 sous prétexte de protéger les « groupes vulnérables ». Une interprétation erronée, selon Bob Kabamba, qui précise que cette notion désigne des personnes en situation de vulnérabilité physique ou mentale, et non des groupes armés.
En RDC, les débats sur la Constitution suscitent souvent des passions, comme en 2015, où les discussions autour d’une éventuelle révision avaient provoqué des soulèvements populaires. Aujourd’hui, ces débats refont surface, alimentés par des désinformations propagées par des acteurs étatiques de premier plan. Ainsi, pour garantir un débat constructif, il est essentiel de vérifier et de confronter rigoureusement les affirmations, y compris celles provenant des discours officiels et/ou politiques. La rumeur de la semaine
La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain. Un décryptage réalisé par Vunja Uongo, l’équipe de la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC.