🎧 Non, la carte de la RDC n’a pas été modifiée sur Google Maps

Alors que les tensions entre la République démocratique du Congo et le Rwanda s’intensifient à cause du soutien militaire et logistique de ce dernier aux rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/M23, une image virale prétendant montrer une carte de la RDC amputée du Nord et du Sud-Kivu a suscité l’indignation sur les réseaux sociaux. Présentée comme une modification réalisée par Google Maps, elle est en réalité le fruit d’un montage. Aucun accord entre les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame n’a entériné une telle cession territoriale. Dans un contexte de guerre et de désinformation massive, cette intox illustre les dangers des fausses informations alimentant les tensions régionales.

Une image publié par un internaute sur Facebook début janvier montre la carte de la République démocratique du Congo (RDC) amputée des provinces du Nord et du Sud-Kivu, accompagnée d’une légende alarmante : « Pendant que nous sommes distraits, voici ce que Google Maps commence à afficher comme carte de la RDC. C’est vraiment triste. Les accords entre Félix Antoine Tshisekedi et son frère Paul Kagame ». Le commentaire laisse entendre que cette prétendue modification serait liée à un accord secret entre le président congolais et son homologue rwandais.

Pourtant, une vérification sur Google Maps ne révèle aucun changement de la cartographie du pays. Les 26 provinces y figurent toujours, et le Nord comme le Sud-Kivu restent pleinement intégrés au territoire congolais. Une recherche d’images inversées via Google Lens n’a pas permis d’identifier l’origine de cette carte tronquée, suggérant qu’il s’agit d’un montage.

Les accords entre Kinshasa et Kigali

S’il est vrai que Kinshasa et Kigali ont signé plusieurs accords, aucun ne concerne une quelconque cession territoriale. En juin 2021, Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont conclu trois accords visant à renforcer la coopération bilatérale et promouvoir la paix et le développement économique dans la région : un accord sur la promotion et la protection des investissements, destiné à encourager et sécuriser les flux financiers entre les deux pays ; une convention contre la double imposition et l’évasion fiscale, visant à éviter qu’une même entreprise soit imposée deux fois tout en luttant contre la fraude fiscale et un protocole d’accord entre la Société Aurifère du Kivu et du Maniema (SAKIMA SA) et DITHER LTD, portant sur l’exploitation de l’or et visant à garantir une gestion plus transparente des ressources minières.

D’autres négociations ont été menées sous l’égide du président angolais João Lourenço, désigné comme médiateur de l’Union africaine, notamment dans le cadre du processus de Luanda, initié en juillet 2022. Ces pourparlers avaient pour objectif de désamorcer les tensions entre la RDC et le Rwanda en neutralisant les groupes armés comme les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et le Mouvement du 23-Mars (M23). Ils visaient également à faciliter le retrait des forces étrangères présentes illégalement au Congo et à relancer le dialogue diplomatique entre les deux voisins.

Cependant, ces efforts de médiation n’ont pas abouti à un accord concret. L’intensification des affrontements dans l’Est du pays, notamment avec la résurgence du groupe rebelle M23 en novembre 2021, a exacerbé les tensions. Kinshasa accuse Kigali de le soutenir militairement et logistiquement, tandis que le Rwanda reproche à la RDC de collaborer avec les FDLR, une milice hostile au régime de Paul Kagame. Les négociations prévues le 15 décembre 2024 à Luanda entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont été annulées. Kigali avait conditionné sa participation à une reconnaissance officielle du M23 comme interlocuteur légitime, ce que Kinshasa a catégoriquement refusé. L’absence du chef d’Etat rwandais à Luanda a conduit à l’annulation de la rencontre tripartite avec João Lourenço, réduisant encore les chances de désescalade.

La chute de Bukavu le 14 février après celle de Goma fin janvier

Sur le terrain, les combats se sont intensifiés entre les Forces armées de la RDC, soutenues par les milices Wazalendo, et les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/M23, appuyés par l’armée rwandaise. Après avoir lancé une offensive éclair qui a abouti à la prise de Goma, capitale du Nord-Kivu, fin janvier, les insurgés ont poursuivi leur avancée vers le Sud-Kivu voisin. Le 16 février, ils ont pris le contrôle de Bukavu, son chef-lieu, sous les acclamations d’une partie de la population.

L’occupation de cette ville, après la prise de l’aéroport de Kavumu quelques jours plus tôt, donne désormais aux rebelles le contrôle total du lac Kivu, un axe stratégique pour le commerce et la logistique dans la région.

Réunie en sommet d’urgence, l’Union africaine (UA) a une nouvelle fois  appelé, le 16 janvier, au « retrait immédiat du M23 et de ses partisans », mettant en garde contre un risque de « balkanisation de la RDC ». L’organisation panafricaine, souvent critiquée pour sa passivité face aux conflits dans l’Est du pays, n’a toutefois pas explicitement mentionné la responsabilité du Rwanda.

Vigilance face aux fausses informations

La propagation de cette fausse carte de la RDC illustre une fois encore l’ampleur de la désinformation dans un contexte sécuritaire particulièrement tendu. En période de crise, de nombreuses rumeurs circulent sur les réseaux sociaux et au sein des communautés, alimentant les peurs et les tensions. Il est donc essentiel de développer un esprit critique et de s’informer auprès de sources fiables et indépendantes.

La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain. Un décryptage réalisé par Vunja Uongo, l’équipe de la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC.