Après la participation massive des habitants de Goma au meeting organisé par les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/M23 au stade de l’Unité le 6 février, une vague de messages haineux a déferlé sur les réseaux sociaux. De nombreux Gomatraciens ont été accusés de trahison et de lâcheté. Les représentants des Églises catholique et protestante, qui ont rencontré les leaders de ce mouvement politico-militaire, ont également été pris pour cible par des propos injurieux et hostiles. Trésor Kibangula, directeur du pôle politique à Ebuteli, met en garde contre les conséquences d’un tel discours. Selon lui, si les Congolais d’autres provinces continuent à véhiculer ces messages de haine, le fossé entre l’Est et l’Ouest du pays, par exemple, risque de se creuser davantage. Il exhorte les autorités à encourager des espaces de dialogue ouverts pour aborder la crise sécuritaire qui secoue l’Est du pays.
Dans les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on voit notamment Corneille Nangaa, le leader de ce mouvement politico-militaire, scander le nom du président congolais Félix Tshisekedi, et la foule lui répondre en insultant ce dernier. Ces images ont massivement et rapidement été relayées sur les réseaux sociaux, déclenchant une vague de réactions virulentes de nombreux internautes congolais qui ont perçu cette attitude comme une adhésion de leurs concitoyens de la capitale du Nord-Kivu à la démarche des rebelles. Ils les ont accusés de collaborer avec ces derniers.
Les habitants de Goma pris pour cible
Le lendemain du meeting , soit le 7 février, un utilisateur de Facebook a écrit que « les habitants de Goma sont tous des traîtres. Façon ils applaudissaient même Fatshi n’a jamais été accueilli comme ça ». Un autre internaute a affirmé qu’ils sont « des lâches » et qu’il est « inutile de s’en faire pour eux inutile de s’en faire pour eux ». Un autre a renchéri : « Goma, vous êtes nos frères, mais la vérité, c’est que vous nous avez déçus ».
Des messages représentatifs d’une tendance plus large. Pour mieux comprendre cette perception, nous avons interrogé Trésor Kibangula, directeur du pôle politique à Ebuteli, l’institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence. « D’un côté, il y a la lecture des gens qui sont loin de ce qui se passe à Goma. La lecture des gens qui habitent Kinshasa par exemple, qui a un prisme plutôt nationaliste et qui trouverait ces images-là anormales. De l’autre côté, du point de vue de ceux qui se trouvent à Goma, une ville occupée par les troupes rwandaises et le M23, il y a autre un prisme de lecture, c’est-à-dire un prisme pragmatique de la situation », explique-t-il, ajoutant qu’il y a eu à son sens « une certaine obligation tacite de la part des troupes rwandaises et du M23 pour que les personnes qui sont à Goma puissent assister à cette manifestation. On sait que des gens passaient de rue en rue pour dire : “ il y aura manifestation demain, il faut être là”, laissant sous-entendre que si vous ne venez pas il y aura des sanctions ».
Des figures influentes s’illustrent dans les propos de haine
D’autres discours haineux ont entre autres visé Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, après qu’il a déclaré, lors d’une séance plénière extraordinaire début février, que le gouvernement pourrait envisager des négociations avec les rebelles, sans pour autant compromettre la souveraineté nationale.
Parmi eux, des menaces de mort proférées par Gully Bokwala Ilongi, un des communicateurs du parti présidentiel UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social UDPS), dans une émission diffusée sur YouTube. « Kamerhe, c’est quelqu’un à abattre. C’est quelqu’un à qui les Congolais doivent placer une pierre et jeter à la mer. Kamerhe », a-t-il déclaré. Suite à ces menaces, le 10 février, le ministre de la justice Constant Mutamba « a donné injonction au Procureur général près de la Cour d’Appel de Kinshasa/Gombe afin de procéder à l’interpellation et aux poursuites de Monsieur Gully Bokwala Ilongi ».

De son côté, le pasteur Pascal Mukuna a appelé à la mort du peuple rwandais lors d’un culte dominical le 9 janvier à son église Assemblée Chrétienne de Kinshasa (ACK). « Qu’il pleuve au Rwanda et qu’il y ait des grandes érosions. Qu’il y ait des tremblements de terre et que les maisons s’effondrent. Envoie des épidémies et qu’ils meurent de diarrhée. Que des essaims d’abeille leur apparaissent », a-t-il prié.
Pourtant, le président Tshisekedi avait lui-même déclaré, décembre 2022, que la RDC a un problème avec le régime de Paul Kagame, et non avec les populations de ce pays. « Ne haïssez pas les étrangers. Et d’ailleurs, à propos du Rwanda ça ne sert à rien de regarder les Rwandais comme un ennemi, non. Seul le régime rwandais avec Paul Kagame à sa tête, qui est l’ennemi de la République démocratique du Congo. Les Rwandais et les Rwandaises sont nos frères et sœurs », ajoutant qu’« ils ont besoin de notre aide parce qu’ils sont muselés. Ils ont besoin de notre aide pour se libérer […]. Donc, ne les regardez pas comme des ennemis mais comme des frères qui ont besoin de notre solidarité pour nous débarrasser, et débarrasser l’Afrique de ce genre des dirigeants rétrogrades qui remettent, qui ramènent les méthodes des années 60 des années 70 ».
Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), le discours de haine est « tout type de communication, orale ou écrite, ou tout comportement qui attaque ou utilise un langage péjoratif ou discriminatoire en référence à une personne ou un groupe sur la base de leur identité, notamment la religion, l’ethnicité, la nationalité, la race, la couleur, l’ascendance, le genre ou tout autre facteur d’identité ». L’ONU précise que les discours de haine peuvent entraîner de graves conséquences, allant de la discrimination à la guerre entre Etats, en passant par les tensions sociales et conflits intercommunautaires.
« Si le reste du pays continue à lire ce qui se passe dans l’Est avec un prime nationaliste sans tenir compte de la réalité des gens qui vivent dans ces territoires occupés, effectivement on va vers une fracture ou un renforcement de la facture qui existait déjà Est-Ouest. »
Trésor Kibangula, Directeur du pôle politique à Ebuteli
Pour limiter la propagation des discours de haine en ligne, les réseaux sociaux comme Instagram et X permettent à leurs utilisateurs de les signaler. Sur Facebook, il faut :
- Cliquer sur les trois points en haut à droite de la publication ;
- Sélectionner l’option « Signaler la publication » ;
- Cliquer sur « Contenu violent, haineux ou dérangeant », puis cochez la case « Appel à la haine » ;
- Suivre les instructions et ajoutez des détails si nécessaire.
Trésor Kibangula met en garde contre les risques d’un cercle vicieux où les Congolais s’attaquent entre eux au lieu de s’unir face aux véritables enjeux. « Si le reste du pays continue à lire ce qui se passe dans l’Est avec un prisme nationaliste sans tenir compte de la réalité des gens qui vivent dans ces territoires occupés, effectivement on va vers une fracture ou un renforcement de la facture qui existait déjà Est-Ouest ».
La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain. Un décryptage réalisé par Vunja Uongo, l’équipe de la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC.