Depuis la prise de Goma fin janvier, celle de Bukavu à la mi-février et l’avancée des rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/M23 dans plusieurs autres territoires de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), des fausses rumeurs entourant ce conflit ne cessent de proliférer. Une d’elles avance que le président Félix Tshisekedi se dit prêt à collaborer avec Corneille Nangaa, leader de ce mouvement politico-militaire. Décryptage.
La rumeur a été publiée le 4 mars par un utilisateur sur le réseau social X. Dans son tweet, l’internaute, suivi par plus de 10 000 abonnés, a affirmé : « Félix Tshisekedi se dit prêt à travailler sous le leadership de Corneille Nangaa pour obtenir une paix durable ». Ce message est accompagné de quatre émojis rieurs et d’un visuel reprenant le bandeau rouge d’une alerte urgente de Radio France Internationale (RFI). Ce post a été vu plus de 43 000 fois.

Pour vérifier cette affirmation, Vunja Uongo, la cellule de vérification des faits de Studio Hirondelle RDC, a contacté Tina Salama, porte-parole du dirigeant congolais, qui a démenti catégoriquement cette information, la qualifiant de « fake ». Joint au téléphone, Pascal Mulegwa, correspondant de RFI à Kinshasa, a confirmé que cette information n’a jamais été publiée par la radio française. Par ailleurs, une recherche par mots-clés sur Google n’a retourné aucun résultat corroborant cette déclaration attribuée au président Tshisekedi.
Un appât à clics ou clickbait
Un autre élément a permis de confirmer la fausseté de cette rumeur. Le lien attaché à la publication mène à une brève de RFI publiée le 4 mars, intitulée : « Volodymyr Zelensky se dit prêt à ‘’travailler sous le leadership’’ de Donald Trump pour ‘’obtenir une paix durable’’ ».
Ce court article d’information parle du président ukrainien, qui a exprimé sa volonté d’« arranger les choses » avec son homologue américain après leur vive altercation du 28 février. Un sujet qui n’a donc rien à voir avec Félix Tshisekedi, Corneille Nangaa ou la RDC. Ce tweet s’avère être un appât à clics destiné à attirer des interactions sur le post de son auteur.
Le clickbait ou appât à clics est une technique en ligne qui consiste à utiliser des titres accrocheurs ou trompeurs pour capter l’attention et générer de l’engagement (mentions « J’aime », commentaires, partages) ou des revenus publicitaires. Sur les plateformes de Meta, Facebook et Instagram notamment, cette pratique est interdite et peut être sanctionnée.
Une manipulation du contexte
La rumeur en question a été publiée une semaine avant l’annonce par l’Angola, « des négociations directes à Luanda dans les prochains jours » entre le gouvernement congolais et les rebelles « en vue de négocier une paix définitive ». Ce communiqué a été rendu public par la présidence angolaise le 11 mars après une courte visite de Félix Tshisekedi dans la capitale de ce pays voisin qui a été désigné comme médiateur dans le conflit dans l’Est de la RDC en 2022, sous l’égide de l’Union africaine.

Dans un tweet du 11 mars, Farah Muamba, nouvelle directrice de la cellule de communication à la présidence, a affirmé : « Nous prenons acte et attendons voir la mise en œuvre de cette démarche de la médiation angolaise ». Tina Salama, elle, a déclaré que la RDC reste attaché au processus de Nairobi et à la résolution 2773. « Nous avons été informés des initiatives de la médiation. Ce sont des propositions de Luanda en d’autres termes », a-t-elle ajouté.
La résolution 2773 a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 21 février 2025. Cette décision « condamne fermement » l’offensive menée par le M23 et les avancées qu’il réalise dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu avec le soutien de l’armée rwandaise. Le texte exige la cessation des hostilités, invite toutes les parties à conclure un cessez-le-feu, appelle au retrait immédiat du M23 et de ses alliés rwandais de toutes les zones contrôlées et au démantèlement intégral des administrations parallèles illégitimes mises en place sur le territoire de la RDC. Par cette résolution, le Conseil de sécurité de l’ONU demande également à l’armée rwandaise de cesser de soutenir le M23 et de se retirer immédiatement du territoire congolais, sans conditions préalables.
Revirement et surprise de dernière minute
Par ailleurs, tout en affirmant sa participation au dialogue dans un communiqué du 13 mars, l’Alliance Fleuve Congo/M23 a également estimé « indispensable » que la médiation angolaise clarifie la position de Félix Tshisekedi qui, selon les rebelles, doit exprimer « publiquement et sans ambiguïté son engagement pour des négociations directes » avec leur organisation. Mais coup de théâtre dans la soirée du 17 mars : le groupe armé a annoncé son retrait du processus. « Les sanctions successives imposées à nos membres, y compris celles adoptées à la veille des discussions de Luanda, compromettent gravement le dialogue direct (…). Notre organisation ne peut plus poursuivre sa participation aux discussions », a estimé le M23.
Malgré ce revirement de dernière minute, le gouvernement congolais a affirmé à l’Agence France-Presse (AFP) qu’il maintenait sa participation aux négociations. « La délégation congolaise quitte Kinshasa pour Luanda. Nous allons répondre à l’invitation de la médiation » angolaise, a déclaré la porte-parole du président Félix Tshisekedi. De son côté, la présidence angolaise a assuré dans un communiqué que « toutes les conditions » étaient « réunies pour le début des négociations directes comme prévu » le 18 mars.

À la surprise générale, Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame se sont discrètement rencontrés à Doha, au Qatar le 18 mars 2025. Cette entrevue secrète, centrée sur un possible cessez-le-feu pour mettre fin au conflit dans l’Est congolais, s’est tenue le même jour où devaient débuter les pourparlers entre Kinshasa et le M23 en Angola. Ceux-ci n’ont finalement pas eu lieu.
Il faut rappeler que Félix Tshisekedi a toujours refusé d’engager un dialogue direct avec l’AFC/M23, soutenu par le Rwanda. Il l’a affirmé à plusieurs reprises, notamment lors d’une interview sur Top Congo FM le 6 août 2024. Le président congolais avait déclaré : « Jamais, au grand jamais tant que je serai Président de la République démocratique du Congo je n’aurai en face de moi la délégation du M23 ou de l’AFC pour négocier, jamais ».
Tshisekedi et Nangaa : une relation brisée
Félix Tshisekedi et Corneille Nangaa ont un passé commun. En 2018, lorsque Nangaa présidait la Commission électorale nationale indépendante (CENI), il a annoncé la victoire de Tshisekedi à l’élection présidentielle de décembre 2018. Selon lui, cette victoire était le résultat d’un compromis entre Félix Tshisekedi et l’ancien président Joseph Kabila pour assurer une transition pacifique. Mais depuis, les relations entre les deux hommes se sont fortement détériorées. Fin janvier 2025, lors d’une conférence de presse à Goma, Corneille Nangaa a qualifié Félix Tshisekedi de « monstre » et a déclaré qu’il lui incombait de le défaire. « Si j’ai créé le monstre, il m’appartient de le défaire ! », a-t-il affirmé.
En résumé, Félix Tshisekedi n’a jamais déclaré qu’il était prêt à travailler avec Corneille Nangaa, encore moins sous son leadership. Cette fausse information a été diffusée sur X dans un but de manipulation et d’engagement artificiel sur le compte de son auteur. Face à la multitude d’informations qui circulent en ligne, il faut faire preuve d’esprit critique et d’observation pour éviter de tomber dans le piège de la désinformation.
La rumeur de la semaine est une rubrique pour décrypter les fausses informations qui circulent sur nos réseaux sociaux et au sein de nos communautés locales sur le terrain. Un décryptage réalisé par Vunja Uongo, l’équipe de la cellule de vérification du Studio Hirondelle RDC.